La Girafe de Chambretaud
N. D.
Le voyageur qui empruntait la nationale 160 en direction de la côte avait pour habitude, jusqu’à un passé récent, de faire étape à hauteur de Chambretaud, au lieu-dit la Girafe pour y savourer du jambon de pays accompagné de mogettes vendéennes. L’auberge en avait d’ailleurs tiré son nom – et sa renommée – « Au Jambon de la Girafe », bien qu’avec le temps son origine se fût quelque peu perdue…
Pour en retrouver la source, il convient de remonter à l’année 1826 et quitter l’horizon du Bocage vendéen afin de rejoindre les rives de la Méditerranée orientale. Le consul de France au Caire, M. Drovetti, était en ce temps-là en quête d’animaux exotiques destinés au Muséum d’Histoire naturelle. Apprenant que le pacha d’Égypte, Méhémet Ali, venait de recevoir deux girafons d’un seigneur soudanais, il souffla à ce dernier l’idée d’en offrir un exemplaire au roi de France, Charles X. Les relations entre les deux pays avaient pâti d’un conflit en Grèce, où les Ottomans aidés des Égyptiens avaient durement réprimé le soulèvement des populations chrétiennes. L’occasion était ainsi toute trouvée pour renouer avec la France.

Le navire fit voile sans encombres à travers la Méditerranée jusqu’au port de Marseille qu’il aborda en octobre 1826. Après la quarantaine d’usage, la girafe fut installée dans la cour de la Préfecture afin d’y passer l’hiver. L’hôte du préfet ne passa évidemment pas inaperçu. Toute la bonne société provençale se pressa pour rendre visite à cet animal dont nul représentant n’avait jamais jusqu’alors foulé le sol de France.
En apprenant l’engouement suscité à Marseille par cet événement, Charles X commença à réclamer « sa » girafe. Dépêché sur place pour préparer l’expédition vers Paris – à pied, puisque le transport par voie fluviale avait été exclu –, le zoologue Geoffroy Saint-Hilaire fit confectionner un habit à capuchon frappé aux armes du roi et du pacha d’Égypte, et reforma le cortège des vaches, des deux Soudanais, de l’antilope survivante, sans oublier une escorte de gendarmes. L’insolite caravane quitta Marseille le 20 avril 1827, suivie tout au long du chemin par une foule de badauds qui s’amassaient sur son passage.

Cet engouement ne tarda pas à enflammer le pays tout entier. Tout le monde se mettait à la mode de la girafe. On la trouvait sur la vaisselle, les chapeaux, les bijoux, etc., jusqu’aux enseignes des auberges qui l’avaient vue passer lors de son périple de Marseille à Paris.
La mode passa – comme toute mode – et la girafe du roi finit paisiblement ses jours dans sa rotonde douillette du Jardin des Plantes. Elle mourut en 1845, à l’âge de 21 ans. Sa dépouille naturalisée quitta la capitale entre les deux guerres mondiales – le Muséum étant alors encombré des nombreuses girafes qui avaient suivi cette pionnière – pour s’installer au Musée de La Rochelle où elle trône aujourd’hui.

Modèle d'assiette à l'effigie de la Girafe
L’établissement connut un succès on ne peut plus durable, 154 ans ! un siècle et demi, alors qu’on y servait toujours le même menu, des rillettes, du jambon de pays, garni d’omelette ou de mogettes. Réputé à travers toute la Vendée et au-delà, grâce aux touristes toujours plus nombreux à emprunter cette route, « l’Auberge du Jambon de la Girafe » a hélas fermé ses portes le 1er janvier 1990. Son souvenir demeure cependant dans le nom du lieu-dit la Girafe, à Chambretaud.